Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/27

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tout notre système suppose l'infériorité des réserves. Quoiqu'elles soient formées, sous le régime de la loi de deux ans, d'hommes ayant reçu l'éducation militaire de la caserne, quoiqu'il soit possible, par des exercices appropriés, de les préparer et de les entraîner pour les opérations de guerre, elles n'ont en fait, dans toute notre institution, qu'une valeur secondaire, subordonnée, conditionnelle. Elles ne valent guère qu'encadrées dans l'armée active. Tout conspire, même les mots, à les déprécier, à les réduire à un rôle subalterne.

Pourquoi appeler « armée active » le rassemblement des soldats groupés à la caserne et donner le nom distant et atténué de « réserve », un nom de second plan, à cette masse de soldats exercés qui sont rentrés dans la vie civile. mais qui sont inscrits dans des unités militaires, qui seront appelés au jour de la mobilisation et qui dans un système authentique et vrai de nation armée formeraient la véritable armée active, la grande masse organisée pour le combat? Toute la lumière est projetée sur l'armée encasernée.

Si la nation avait vraiment foi dans ses réserves, la caserne ne serait que l'école préparatoire du soldat : elle ne serait pas le centre de la force militaire de la France : ce qu'on appelle l'armée active ne serait que le stage préparant les soldats à remplir leur rôle dans la véritable armée active, c'est-à-dire dans les unités de combat établies en permanence sur toute la surface du pays. Mais la petite fraction de l'armée qui est dans les casernes apparaît comme le lien indispensable, comme le cadre et le point d'appui nécessaires, comme le centre éclatant et résistant des forces obscures, diffuses et à demi suspectes disséminées dans la nation. Les réserves n'apparaissent que vaguement, dans une sorte de demi-jour, comme une matière informe et molle qui ne vaudra que façonnée par l'armée régimentaire.

C'est cette arrière-pensée de l'infériorité des réserves qui gouverne en fait tout notre système militaire : et par un effet naturel et un retour inévitable, tout le système