Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/26

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devoir commun. Jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, c'est-à-dire jusqu'à une heure où, selon Montaigne, l'homme est déjà entré depuis cinq ans dans « les avenues de la vieillesse », la loi militaire tient les citoyens, elle les tient tous, avec la même force, pour la même durée, pour les mêmes épreuves. Se peut-il donc qu'il y ait une plus vaste accumulation de forces ? Se peut-il qu'il y ait une plus saisissante égalité ? C'est bien la nation qui est armée, toute la nation. Voilà l'apparence. Voilà, comme étalée sur un écran, l'ombre formidable d'une armée de trois millions d'hommes. Mais ce n'est guère qu'une ombre. Au fond de notre système militaire il y a un préjugé persistant qui en limite la force et en contrarie les effets, et ce préjugé c'est que la nation ne peut guère compter que sur la partie encasernée de l'armée.

On a réduit de sept â cinq ans, puis à trois, puis à deux, la durée de l'encasernement. Mais l'idée de M. Thiers, qui se défiait des grandes masses, a survécu. Il n'y a que deux classes dans ce qu'on appelle l'armée active : et même en laissant de côté toute l'armée territoriale, il y a onze classes dans ce que l'on appelle la réserve de l'armée active. C'est donc dans les réserves qu'est la force principale de l'armée. On en convient, on croit en convenir, et M. le général Langlois va jusqu'à caractériser le système français, en opposition au système allemand, par la prépondérance des réserves : Il écrit dans sa substantielle étude : Dix jours à l'armée suisse :

La France et l'Allemagne ont adopté dans la réalisation de la nation armée deux systèmes essentiellement différents. Chez nos voisins, la force principale réside dans l'armée de première ligne à peine renforcée par les réserves des plus jeunes classes ; en France, au contraire, nous comptons principalement sur nos réserves.

Nous n'avons pas à étudier ici ces deux conceptions ; la nôtre est imposée par notre état politique et social, nous devons nous efforcer d'en tirer le meilleur parti.

Mais quand on parle ainsi on se trompe soi-même : ear