Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que les « militaristes » ont enlevé le vote. Mais aucun d'eux, dans cette crise de patriotisme, n'a insinué que le système même était mauvais, et c'est avec la conviction réfléchie d'avoir un appareil défensif très sérieux, capable de protéger une indépendance à laquelle il tient passionnément, que le peuple suisse limite à un maximum de trois mois cette « formation du soldat » pour laquelle le système français réclame deux ans.

Dira-t-on que les citoyens suisses sont comme préparés d'avance à l'activité du soldat par cette éducation militaire qu'ils appellent en effet préparatoire et à laquelle ils soumettent les adolescents ? Dira-t-on encore qu'elle est continuée, fortifiée, après l'école des recrues, par de sérieux exercices périodiques ? Sans doute. Mais c'est précisément parce qu'ils prennent au sérieux l'armée vraiment nationale, c'est parce qu'ils ne réduisent pas l'éducation militaire à la vie de caserne qu'ils s'intéressent à cette vaste éducation continue. L'éducation vraiment nationale et constante de l'armée dans le pays est nécessairement en raison inverse de l'importance donnée au régime de caserne.

Un des pires effets de l'encasernement prolongé c'est de donner au pays l'illusion que là est l'essentiel de l'éducation militaire, et de le détourner, de le dégoûter de l'effort viril et permanent qui doit assurer le niveau constant et normal de puissance défensive. Aussi bien le système français lui-même est obligé d'avouer, si je puis dire, la suffisance du système suisse. Car c'est en cinq mois qu'est éduquée la recrue française. Elle entre à la caserne en octobre et ii faut qu'au commencement de mars, en prévision de la guerre qui peut éclater au printemps, son instruction soit terminée. À ce moment elle doit pouvoir entrer en campagne : et elle est destinée à l'armée de première ligne, c'est-à-dire à soutenir les premiers chocs.

Qu'on n'allègue pas qu'il faut, par l'exercice prolongé, par l'insistance et la répétition, créer dans le soldat une sorte d'automatisme. D'abord, les manœuvres, intelligemment