Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/37

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commandent à une compagnie à plein effectif. Que de fois on a parlé au Parlement, dans les discours, dans les rapports, de ces compagnies-squelettes où le capitaine ne dispose guère, pour les manœuvres, pour l'action et l'éducation militaires, que de quelque quatre-vingts hommes ! Et quand on pense que l'effectif de guerre sera au moins de 250 hommes, que c'est au moins 250 hommes que le capitaine devra manœuvrer devant l'ennemi, devant la mort, on est épouvanté de ce qu'a de ridicule et presque de sinistre un système d'éducation militaire qui appelle sous les drapeaux toute la nation, qui retient deux ans, comme en vase clos, tous les citoyens de France et qui, jamais, sauf en de rares et stériles convocations de réservistes, gâchées le plus souvent à d'autres besognes, ne donne au chef l'occasion de tenir sous son commandement l'unité, tactique qu'il mènera au combat.

À ce mal, dénoncé depuis longtemps, le service de deux ans ne peut pas remédier. Il risque même de l'aggraver, car il entraîne une diminution de 50 000 hommes dans l'effectif de caserne vraiment disponible pour les exercices. Même quand on aura, si on s'y décide, délogé tous les embusqués, même si on confie à une main-d'œuvre civile un grand nombre des tâches qui détournent maintenant les soldats de l'apprentissage du métier de soldat, même si on réalise cette réforme, peu compatible avec les habitudes et les nécessités du service à long terme, même alors, la compagnie ne s'élèvera guère qu'au chiffre de 120 hommes, et le capitaine ne disposera jamais pour les manœuvres vraiment intéressantes que de la moitié à peine de l'effectif qu'il aurait, au jour de la bataille, à gouverner, à animer, à manier sous le feu. C'est, pour reprendre le mot du général Langlois, un leurre terrible pour l'éducation des officiers comme pour celle des soldats. Et ce leurre continuera, ce vice d'éducation subsistera tant que subsistera le système, c'est-à-dire tant que toute l'attention, tout l'effort, toute la confiance, toute la dépense de la nation et des états-majors de l'armée se