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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/38

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concentreront sur le service de caserne, tant que l'armée active, je veux dire l'ensemble des citoyens éduqués en soldats de 21 à 34 ans, sera coupée en deux, une fraction de caserne longtemps maintenue non seulement en dehors de la vie civile, mais en dehors des conditions réelles de la vie militaire, dans une existence factice, routinière et morne, et une immense réserve dont la vie est rare, sporadique, incertaine, à demi abandonnée.

Les combinaisons et les réformes suggérées par M. le général Langlois révèlent surtout l'étrange flottement d'idées de ceux des officiers qui cherchent, qui observent, qui sont restés dominés à leur insu par le type de la vieille armée de métier, qui reconnaissent cependant et qui subissent les nécessités de l'évolution démocratique et qui, voyant les contradictions et les misères d'un régime bâtard, où se heurtent et se neutralisent les formes surannées et les formes ébauchées de la vie, n'ont pas le courage de choisir entre le mort et le vivant et d'aller jusqu'au bout d'une idée. je ne sais si le séjour continu de neuf mois dans les camps d'instruction est un régime praticable. Je ne sais si l'hygiène des hommes s'en accommoderait. si les officiers ainsi transportés pendant toute leur vie hors des conditions normales de l'existence, â peu près privés de la vie de famille et aussi des moyens de cultiver leur esprit par les communications multiples avec la vie sociale,-ne deviendraient pas des êtres bizarres et abstraits, des maniaques de la manœuvre, incapables d'idées gênéraies, de pensée personnelle et de renouvellement. L'ennui, qui est mortel aux intelligences comme aux âmes, serait intolérable, si toute la journée n'était pas prise et comme surmenée par des exercices vigoureux, par l'apprentissage le plus intensif des manœuvres de combat.

Ainsi, après les trois mois de travail intensif consacrés à la première école de recrues, viendraient neuf mois de travail également intensif pour les évolutions libres. J'imagine que M. le général Langlois ne songe pas à demander â des hommes plus d'un an de cette vie tendue, surmenée,