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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/370

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du militarisme étranger, ce serait une contradiction si puérile, si misérable, qu’elle serait emportée à la première alerte par toutes les forces soulevées de l’instinct et de la raison. Que les prolétaires, que le conquérant ne délivre pas du capital, consentent en outre à devenir des tributaires, c’est une monstruosité. Jamais un prolétariat, qui aura renoncé à défendre, avec l’indépendance nationale, la liberté de son propre développement, n’aura la vigueur d’abattre le capitalisme ; et quand il aura accepté sans résistance que le joug de l’envahisseur vienne s’ajouter sur sa tête au joug du capital, il ne sera même plus tenté de relever le front. Ceux des Français, s’il en est encore, qui disent qu’il leur est indifférent de vivre sous le soudard d’Allemagne ou sous le soudard de France, sous le soudard casqué ou sous le soudard bourgeois, commettent un sophisme qui, par son absurdité même, déroute tout d’abord la réfutation. Et quand on leur répond, comme on le fait souvent, en invoquant les titres particuliers de la France, en exaltant la générosité de son histoire et les services rendus par elle au genre humain, la réponse aussi est sophistique, car on ne justifie par là que le patriotisme des Français, et il semble que les autres patries européennes n’ont pas un droit égal à l’indépendance et au dévouement de leurs citoyens.

La vérité est que partout où il y a des patries, c’est-à-dire des groupes historiques ayant conscience de leur continuité et de leur unité, toute atteinte à la liberté et à l’intégralité de ces patries est un attentat contre la civilisation, une rechute en barbarie. Dire que les prolétaires, étant serfs du capitalisme, ne peuvent subir par l’invasion, par la conquête, une aggravation de servitude, est un enfantillage. La domination capitaliste et bourgeoise qui s’exerce dans tous les pays est un effet naturel, nécessaire du développement économique. Le capitalisme n’est pas éternel, et en suscitant un prolétariat tous les jours plus vaste et plus groupé, il prépare lui-même la force qui le remplacera. Il devient un obstacle, une force de résistance et de réac-