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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/369

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tuer jusqu’ici les prolétaires, la puissance de l’action commune. Non, ce n’est pas un chimère. Déjà en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, les conflits entre le prolétariat et la force armée se font très rares. Voilà plus de quinze ans, je crois, que l’Angleterre n’a pas eu à déplorer une seule collision sanglante, sans que pourtant la lutte ouvrière ait jamais langui, sans que l’énergie ouvrière ait fléchi. En France, l’institution de l’armée vraiment populaire sera le signe et la conséquence d’un vaste mouvement politique et social qui aura pour effet de donner au prolétariat, avec plus de garanties, plus de maîtrise de soi. Entre ces soldats, mêlés à la vie du peuple, et le peuple, entre ces officiers, dont plusieurs tiendront par des liens multiples au prolétariat, et le prolétariat, tout conflit apparaîtra comme un scandale. Des deux parts, un effort loyal sera fait pour les prévenir, les chefs s’ingéniant à assurer sans provocation le respect des biens et des personnes, les prolétaires s’interdisant les violences qui amèneraient l’intervention de la force armée, et dispensés, d’ailleurs, de tout geste brutal par le vigoureux exercice d’un droit légal très étendu et scrupuleusement respecté. C’est dans ces conditions que se posera au prolétariat la question de savoir s’il veut assurer lui-même, pour une large part, le fonctionnement de l’armée nouvelle et le recrutement des cadres. Il n’hésitera pas à développer sa force dans l’institution militaire transformée.

Et il ne craindra pas d’être dupe en assurant l’indépendance de la nation, en portant au plus haut l’efficacité des moyens de défense.

Je n’ai jamais, pour ma part, pris au tragique les paradoxes contre la patrie. La patrie n’est pas une idée épuisée, c’est une idée qui se transforme et s’agrandit. J’ai toujours été assuré que le prolétariat ne souscrirait pas, dans l’intimité de son être, à une doctrine d’abdication et de servitude nationale. Se révolter contre le despotisme des rois, contre la tyrannie du patronat et du capital, et subir passivement le joug de la conquête, la domination