grandi comme elle l’a fait, elle n’aurait pas créé le vaste monde moderne avec ses perspectives illimitées, si elle n’avait cru faire qu’une besogne sordide d’exploitation, si elle n’avait eu au moins de magnifiques illusions de générosité et le fanatisme du progrès humain.
Marx, qui n’a jamais consenti à être dupe, a accumulé dans le Capital, les traits d’égoïsme répugnant, les violences sournoises, les voleries d’atelier, les tricheries de boutique, les artifices frauduleux, les gaspillages de force vitale ouvrière par lesquels la bourgeoisie manufacturière a accru ses profits et préparé son empire. Et quand on a dans les yeux ce tableau cruel et sinistre on ose à peine parler des grandes et généreuses espérances qui se mêlèrent à l’essor de la civilisation bourgeoise. Il semble, à lire certaines parties de l’œuvre du grand écrivain, que les horreurs du régime moderne naissant l’inclinent parfois un instant à une sorte d’indulgence pour le régime antérieur de féodalisme, de placidité agricole et de modeste artisanerie. On dirait que son regard s’y arrête un moment, comme à la douceur des limbes, avant de plonger dans les fumées et les feux de l’enfer. Tant il est vrai que les esprits les plus durs ont parfois leurs tentatives idylliques ! Mais quoi ! Marx aurait-il consenti à ce que le monde social s’arrêtât et s’immobilisât au seuil de l’époque moderne ? Ou bien le grand réaliste implacable a-t-il rêvé tout bas, sans l’avouer aux autres et à lui-même, d’une évolution plus humaine et plus douce qui aurait demandé aux prolétaires, pour la formation de la puissance bourgeoise, moins de sacrifices et de douleurs ? Dans le Manifeste communiste il avait marqué plus fortement la grandeur de l’œuvre bourgeoise, la puissance d’action révolutionnaire de la bourgeoisie brisant tous les anciens cadres, dissolvant tous les vieux pouvoirs et toutes les vieilles croyances, bouleversant les habitudes du monde et renouvelant sans cesse sa propre technique, déchaînant la beauté tragique des forces productives illimitées, dépouillant de leur propriété inerte les Églises, les noblesses, les monarchies, pour en faire une