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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/376

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propriété vivante et ardente, et jetant toute la grande forêt endormie des traditions à sa monstrueuse fournaise incessamment remuée. Mais même alors ce n’était pas assez dire, et Marx n’a pas suffisamment reconnu la part de bonne foi humaine, la sincérité d’enthousiasme moral et social qui a soutenu, à certaines heures, et soulevé la bourgeoisie.

Dans le mouvement formidable et mêlé qui apportait aux hommes et aux prolétaires mêmes, confusément, tant de bien et tant de mal, la part du bien était assez grande pour que la classe bourgeoise ait pu s’éblouir elle-même de son œuvre et de son idée. Succédant au féodalisme paresseux et décomposé, luttant contre le parasitisme des moines et des grands d’Église, elle avait cru qu’elle révélait vraiment au monde la grandeur et la sainteté du travail. Elle a mis d’abord dans son œuvre industrielle la ferveur d’un christianisme épuré. Dégoûtée, par son habitude d’activité créatrice, des vaines cérémonies, des pratiques stériles dont la vie religieuse était encombrée, pleine de mépris pour les hiérarchies oisives qui pesaient sur le monde, elle était obligée, pour ne pas perdre le Christ, de se rattacher immédiatement à lui par un acte fervent de foi ; et plus se distendaient ou se brisaient les liens extérieurs qui l’unissaient au sauveur des hommes, plus elle aspirait à s’unir à lui, à vivre en lui, par la force de la vie intérieure.

Même quand ce mouvement n’aboutissait pas expressément à la Réforme, même quand il se continuait sous l’enveloppe catholique, c’est un grand renouvellement d’esprit religieux et de force morale qui se produisait dans cette bourgeoisie agissante et sévère. Et comment les prolétaires mêmes que ces premiers chefs d’industrie groupaient sous leur discipline n’auraient-ils pas été frappés par ce mélange d’ardeur intérieure et de labeur fécond ? J’imagine que ces premiers maîtres imprimeurs, en qui s’associaient la ferveur de l’humanisme et la ferveur de l’Évangile, et qui travaillaient eux-mêmes passionnément,