Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/47

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la démocratie leur semble je ne sais quoi de médiocre, de terne et de diffus, de même les esprits formés par notre tradition militaire ne reconnaissent la puissance de l'armée que dans une institution concentrée, autonome, vivant de soi. Et plus les nécessités politiques et sociales ouvrent cette armée à toute la nation, plus ils essaient de se persuader que la force essentielle de l'armée est dans ce qui subsiste du régime ancien de spécialité et de séparation. Tous ces hommes se trompent. De même qu'il n'y a pas de pouvoir qui ait plus de majesté que celui qui réside dans la volonté de tous constatée par la loi, de même il n'y a pas d'armée qui ait plus de force et d'éclat et qui puisse communiquer à ses chefs, s'ils sont vraiment en harmonie avec elle, plus d'autorité morale et plus de prestige, qu'une armée qui sera la nation elle-même, passionnée pour son indépendance et organisée pour la défendre.

Les résistances des préjugés, des amours-propres surannés ne prévaudront pas contre la volonté profonde de la nation qui veut porter au plus haut ses chances de vie. Une heure vient où le pays s'aperçoit que les compromis trop prolongés sont dangereux, que les concessions faites au passé paralysent le développement du principe nouveau. Et alors à la période des mélanges confus et des combinaisons hybrides, succèdent les institutions décidées et nettes. L'armée de caserne grossie à un rôle démesuré masque l'armée véritable, elle l'offusque. Elle fait obstacle à l'organisation sérieuse des forces défensives de la France.

Il est temps d'aller au secours de la véritable armée qui périt de langueur, étouffée par des formes parasitaires.

Déjà, comme je vais le montrer, la fausse et rétrograde conception des rapports de l'active et de la réserve, la prédominance de l'une, l'humiliation et l'abandon de l'autre ont produit cet effet funeste de mutiler la défense de la France, de lui retirer en fait la moitié des forces disponibles. Au point de vue de la défense, on peut dire qu'aujourd'hui, par le vice de l'institution militaire, il ne reste plus que la moitié de la France.