Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


CHAPITRE III
Défense mutilée et défense complète.


Quand on entend sans cesse, au Parlement, discourir de la « nation armée », quand on constate que la plupart des chefs militaires, même ceux qui ont l'esprit le plus conservateur, déclarent accepter le principe de la « nation armée », on est amené à croire qu'en effet, au jour du péril, tous les citoyens vraiment capables de porter les armes et de marcher iront au-devant de l'ennemi. Quand on entend répéter, quand on lit dans des œuvres, comme celle du général Langlois, que la principale force de la France est dans ses réserves, on est tenté de supposer qu'en effet les onze classes de la réserve de l'armée active participeront activement à la défense du sol menacé. Ce serait un effectif formidable. Deux millions d'hommes, tous exercés, tous valides, tous jeunes, tous en pleine force, puisque les plus âgés d'entre eux n'auraient pas plus de trente-quatre ans, se lèveraient à l'appel de la patrie ; ce ne serait ni une élite restreinte, ni une multitude confuse et tumultueuse, mais une masse éduquée et disciplinée, joignant la force de l'organisation à la puissance du nombre. Il n'en est rien, et, dans les combinaisons présentes de nos états-majors, dans les plans actuels de mobilisation et de concentration, il n'y a que cinq classes de réserve sur onze, pas même la moitié, qui sont destinées à un rôle vraiment actif et de premier plan, à une œuvre décisive de choc et d'écrasement. Sept classes de réserves, tous les hommes de vingt-sept à trente-quatre ans, sont rejetées de l'armée de première ligne.

Ainsi, au jour de la mobilisation, les réservistes fantassins des classes les plus jeunes sont versés dans les 144 régiments d'infanterie de l'armée active ; ils en doublent