Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/53

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une quinzaine d'années, le chancelier allemand de Caprivi, qu'il vaut mieux n'envoyer aux combats de premier choc que les hommes les plus jeunes, parce qu'ils sont à l'âge de l'insouciance et de l'aventure et que, n'ayant pas encore fondé une famille, il vont, sinon plus courageusement, du moins plus allègrement au péril.

C'est un peu ce que disait, il y a plus d'un siècle et demi, Maurice de Saxe dans cette curieuse partie des ses Rêveries où il propose le service militaire obligatoire et universel :

Ne vaudrait-il pas mieux établir par une loi que tout homme, de quelque condition qu'il soit, serait obligé de servir son prince et sa patrie pendant cinq ans ? Cette loi ne saurait être désapprouvée, puisqu'elle est naturelle et qu'il est juste que les citoyens s'emploient pour la défense de l'État. En les choisissant entre vingt et trente ans, il n'en résulterait aucun inconvénient. Ce sont les années de libertinage où la jeunesse va chercher fortune, court le pays et est de peu de soulagement â ses parents.

En vérité, on pourrait chicaner là-dessus. On pourrait se demander si aujourd'hui les hommes de vingt-trois à vingt-sept ans ne sont pas liés par des affections et par des intérêts quand sonne pour eux l'appel de mobilisation. Si l'on a le souci d'envoyer à la guerre des soldats qui soient engagés le moins possible dans la vie civile, il faut renoncer à tout l'emploi des réserves et entrer pleinement dans les vues de Maurice de Saxe, qui proposait de retenir tous les citoyens au service de la patrie pendant cinq années et de les libérer ensuite complètement. Mais, au fond, ce qui décide tout c'est l'idée qu'on se fait de la guerre. Car, si elle peut être déclarée par un souverain ou par une classe, ou si elle a pour objet la conquête et le pillage, si elle est déterminée par des calculs d'ambition ou de convoitise, il est sage d'avoir au moins une armée séparée de la nation et qui n'aurait d'autre idée, d'autre politique, d'autre morale, que l'obéissance, aveugle et cupide tout ensemble, à des chefs qui l'associent au butin, butin d'orgueil ou de profit.