Aller au contenu

Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Lui aussi il a pour les citoyens mariés une touchante sollicitude. Admirable prétexte à discréditer les réserves, c'est-à-dire à tenir la nation même en dehors du drame et à remettre aux mains d'une armée professionnelle! savamment extraite de la nation armée, tout le destin de la patrie. Ah ! oui, M. le général Langlois a raison de crier à la fin de son article « Sits ans désorganisateurs! »

Il n'en est pas de pires que ceux qui désorganisent la défense nationale en la mutilant dans son corps et en l'abaissant dans son âme. Du même coup, ils lui prennent la force d'un million de soldats et la force du droit certain qui est dans la volonté de paix.

La France d'aujourd'hui aussi est logique, tristement logique avec sa propre incohérence et sa propre confusion, lorsqu'elle institue un système militaire équivoque qui répond à l'ambiguïté de ce régime, fait de démocratie politique et d'oligarchie sociale, de tradition conquérante et d'aspiration à la paix. C'est par un effet de ce désordre et de ce mélange qu'elle fait dans son armée de première ligne une part aux réserves plus grande que ne fait l'Allemagne, et qu'elle traite cependant les réserves en force subordonnée et presque suspecte dont on ne se sert qu'à demi, par contrainte, et avec une sorte d'appréhension ou de mépris.

Elle ne sera vraiment forte, elle ne sera invulnérable que le jour où elle aura pleinement conformé son organisation militaire à une politique de démocratie et de paix. Lorsque, comptant en effet sur les nécessaires restitutions du droit par la démocratie et la paix, elle aura le courage et la dignité de répudier définitivement devant le monde toute idée d'une revanche par les armes dont, au fond, elle ne vent pas et dont elle prolonge, par un faux orgueil, caricature de la fierté, la formule creuse ; quand elle aura délibérément, publiquement comme en secret et sans la moindre arrière-pensée, rejeté toute politique offensive ; quand elle aura donne à tous les peuples l'assurance répétée qu'elle est prête à soumettre à l'arbitrage international