Aller au contenu

Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vraiment, qu'à ceux de nos professionnels qui veulent ravaler et refouler les réserves et appuyer sur l'étroite armée de caserne toutes les destinées de la France, l'Allemagne elle-même ne fournisse pas les exemples conformes qu'ils attendent d'elle.

C'est un souffle égaré de révolution qui, un moment, en 1812, a fait frissonner la vieille forêt germanique. On dirait que ce mouvement profond de vie nationale où se mêlait une rumeur de liberté inquiète, scandalise à demi ceux qui, en pleine démocratie française, ne savent que faire, pour la défense de la nation, de la nation elle-même. Si la France, qui ne peut être sauvée que par une armée pleinement nationale et pleinement défensive, commettait la folie de copier les formules allemandes, de dédaigner ses réserves et de jouer sa vie sur la carte nécessairement plus faible d'une armée active moins nombreuse bientôt, elle se suiciderait par servitude d'imitation, par fétichisme de vaincu, adorant l'arme du vainqueur comme un objet magique. Il lui sera bientôt impossible, avec l'écart croissant de population, d'avoir un effectif de caserne égal à celui de l'Allemagne qui, pour des raisons budgétaires, n'incorpore pas tout son contingent, mais qui pourra, si ce dogme de la supériorité de l'active y développe ses effets. faire un effort en ce sens.

Dans cette sorte de lutte, la France est vaincue d'avance. Elle ne peut vivre, elle ne peut vaincre que par la puissance et l'élan des réserves, portées d'un bond au premier plan du combat. Elle ne peut se sauver, elle ne peut vaincre qu'en faisant, de la nation armée et pacifique, une vérité vivante. Aussi bien si elle prétendait copier, dans ses institutions et dans son esprit, l'Allemagne impériale et militaire, si elle mettait tout son espoir et toute sa force dans l'armée active, si elle ne voyiat dans ses réserves qu'un complément presque négligeable et un accessoire, et si, grisée par des alliances et l'apparente faveur des événements, elle se détournait de la politique de paix, si elle devenait offensive et aggressive et jetait sur l'Allemagne