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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/67

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CHAPITRE IV
Dangereuses formules napoléoniennes.


I

Ce n'est pas en revenant à la tradition militaire napoléonienne, comme l'y invitent beaucoup d'officiers distingués, que la France échappera à cette servile émulation du militarisme allemand qui paralyse ses facultés propres de defense et d'action. Depuis quinze ou vingt ans, il y a eu, dans notre jeune armée, même républicaine, comme un réveil napoléonien, un retour aux idées tactiques et stratégiques du grand manieur d'hommes, du grand manœuvrier. C'est, je crois, le capitaine Gilbert qui a été un des initiateurs de ce mouvement ; c'est lui du moins qui lui a donné la forme la plus nette et la plus forte. Ses études, qui parurent d'abord dans la Nouvelle Revue, de Mme Adam, et qui furent publiées en deux volumes, en 1890 et 1892, sous le titre : Essais de critique militaire, et Sept études militaires, ont eu sur l'esprit de l'armée une grande influence ; et presque tous les officiers qui pensent ou qui écrivent s'en inspirent à quelque degré. Notre enseignement de l'École supérieure de guerre en procède dans une large mesure. Nombreux sont dans l'armée ceux qui considèrent l'œuvre du capitaine Gilbert comme géniale et qui lui empruntent toute leur philosophie militaire. Et il est vrai qu'elle est remarquable par la netteté de ses formules, par la précision des vues, par la vigueur de l'esprit de synthèse. Analyser et discuter ses idées c'est donc saisir, en ce qu'elle a de plus ramassé et de plus fort, la pensée dirigeante de l'armée actuelle ; et s'il apparaît à l'analyse que ces idées sont fausses, qu'elles détournent la France de la voie de salut et la jettent aux plus dangereuses complications, la