Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/73

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que toutes ses troupes en marche pussent se soutenir avant d'être parvenues au nœud de concentration et de bataille. Il n'est pas vrai notamment que Lannes, laissé trop en arrière, eût pu être écrasé, car il cheminait sur une crête continue où il était inabordable.

Il n'y a pas une incertitude, pas une obscurité, pas une chance funeste dans cette marche toute lumineuse. Au contraire, c'est l'armée allemande qui, dans la première période de la guerre de 1870, hésite et tâtonne. C'est elle qui est engagée à Wœrth par l'impétuosité et l'imprudence d'un chef, sans ordre, contre la volonté, contre le plan du commandement suprême. C'est elle qui, après Wissembourg, perd le contact de notre armée vaincue et ne sait pas quel chemin de retraite ou de fuite elle a pris, si bien que MacMahon aurait pu se rejeter vers Metz et rejoindre l'armée de Bazaine. Ce sont les Allemands qui se trompent sur la marche de l'armée de Bazaine après la bataille de Borny. Ils s'imaginent qu'elle a hâté sa marche de retraite et ils se hâtent d'aller vers l'ouest, croyant la couper sur la route de Verdun. Or, elle était encore massée aux environs de Metz, et les Français auraient pu surprendre et enfoncer l'armée allemande exposée ainsi par la marche de flanc la plus téméraire. Les disciples allemands de Napoléon n'ont donc pas la sûreté du maître.

C'est la France qui a créé la méthode de la grande guerre moderne, et elle en a donné une première application qui s'est trouvée du même coup la plus parfaite. Si elle a succombé en 1870, c'est parce qu'elle avait perdu le sens de sa propre histoire, et qu'elle n'entendait plus, pour ainsi dire la voix de son propre génie ; c'est qu'elle a déserté cette méthode napoléonienne en qui se formulait l'élan de sa pensée et de sa volonté. Elle n'a pas su vouloir ; non seulement elle n'a pas pris dès le début l'offensive qu'elle pouvait prendre, mais par une faute plus grave encore, et qui atteste une démission lamentable de la volonté, elle n'a pas su prendre parti entre les plans d'offensive et les plans de defensive. Quand la longueur même de ses hésitations l'eût