Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/84

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trop au loin et vivre trop largement sur le pays ; et il ne sauve du désastre que cette cavalerie rassemblée en hâte ; mais il perd presque toute son infanterie et ses canons. Il se refait aussitôt en obligeant la Hesse, alliée un peu incertaine, à lui envoyer des troupes. Le duc d'Enghien reprend le commandement, et les deux hommes, qui ont déjâ une très haute estime l'un pour l'autre, cherchent, non pas à trainer la manœuvre, mais à aborder, le plus rapidement possible, l'ennemi. Condé n'était certes pas le captif du terrain et des « positions fortes » ; car, au témoignage de Turenne, il était confirmé que l'ennemi ne s'éloignerait pas trop de vouloir combattre ; il passe l'endroit derrière lequel il avait un grand avantage et demande à toute l'armée de marcher. Ils le rencontrent à Nordlingen. Il est établi sur la pente d'une montagne ; il est appuyé à un village ; il occupe les maisons déjà minées qui entourent l'église ; il est retranché dans le clocher et dans le cimetière. N'importe, les généraux français ordonnent l'assaut. Une de leurs ailes est rompue. Leur centre est refoulé, mais l'aile commandée par Turenne escalade la hauteur, tourne et force le village. Il fait 2 000 prisonniers, prend les canons, et le lendemain l'ennemi bat en retraite. Condé avait eu deux chevaux tués sous lui ; Turenne avait eu la cuirasse froissée par les balles. Et cette silhouette du clocher et du cimetière n'évoque-t-elle pas quelques-uns des tragiques événements de l'épopée napoléonienne ?

Il est vrai que pour Turenne le gain d'une bataille n'est pas le tout ni même l'essentiel. Aux grands effets fulgurants et vains parfois, il préférait la destruction méthodique de l'ennemi. Mais on n'est pas fondé à dire, en reprenant la formule que Clausewitz applique d'ensemble aux guerres des XVIIe et XVIIIe siècles, qu'il ne cherchait pas la solution radicale. C'est au contraire la destruction radicale de l'ennemi qu'il se proposait, mais selon des moyens variés et conformes, en ce temps, à la nature des choses. Il avoue évidemment les préférences de son esprit dans l'éloge qu'il fait de notre allié suédois, le général Torstenson,