Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

humaines, de saisir dans leur action toute pure ces hautes idées qui créèrent tout ensemble et qui organisèrent l'héroïsme. L'intrigue girondine se mêla à la déclaration de guerre et la précipita. Des passions d'orgueil, de nationalisme superbe et conquérant corrompirent dès le début, à quelque degré, le noble enthousiasme de l'indépendance nationale et de l'universelle liberté humaine. C'est le malheur de la force que, même au service du droit, elle s'enivre d'elle-même et, de moyen qu'elle est, elle devient elle-même sa propre fin. Isnard déclamait comme un chauvin furieux. Le journal même du sage et généreux Condorcet, commentant les premiers événements de la guerre de Hollande et la prise de Gertruydemberg où l'armée du grand roi avait échoué, disait :

Les patriotes ont vengé la défaite de Louis XIV.

Un arrière-souvenir et comme un arrière-orgueil de despotisme national se glissait dans les victoires humaines de la liberté. Donner la liberté au monde par la force est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises. En la donnant, on la retire. Et les peuples gardent rancune du don brutal qui les humilie. Le poète allemand s'écriera plus tard :

Cette liberté que vous nous ameniez comme une fiancée, vos soldats l'avaient d'abord baisée sur la bouche.

Oui, je sais cela, et Robespierre l'avait pressenti ; il l'avait annoncé lorsque seul, aux Jacobins, en 1792, ii luttait avec une obstination héroïque contre le parti de la guerre, contre l'entraînement belliqueux du peuple que son besoin d'action révolutionnaire poussait aux grandes aventures, bien au delà de l'intrigue et des roueries de la Gironde. Il prédisait aux hommes impatients d'aller à la liberté par le chemin hasardeux de la guerre, les convulsions contre-révolutionnaires qui sortiraient sans doute de la défaite, la dictature militaire qui sortirait de la victoire. Il leur montrait le reste du monde encore incapable de se