Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/123

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domestiques, par les concierges, par ma famille. C’est invraisemblable. »

Esterhazy n’oublie qu’une chose : c’est que, signée seulement de l’initiale conventionnelle C, cette carte, d’ailleurs fermée, ne pouvait le compromettre ni auprès des concierges, ni auprès des domestiques en supposant qu’ils aient pu la lire.

Pour qu’elle devînt une charge contre lui, il fallait qu’elle fût soustraite à la légation même, comme l’avait été le bordereau, et portée directement au ministère.

Et cela, à coup sûr, le correspondant d’Esterhazy ne l’avait pas prévu, de même qu’il ne pouvait savoir encore, à cette date, que le bordereau lui avait été dérobé.

Il est donc établi, ou, si l’on veut, infiniment vraisemblable que c’était bien une lettre de la légation allemande à M. Esterhazy qui, en mai 1896, parvenait au bureau des renseignements, et mettait en éveil le lieutenant-colonel Picquart.

CE QU’EST ESTERHAZY


I

C’était un premier indice, et le colonel Picquart ouvrit une enquête. Il reçut tout d’abord sur la vie privée du commandant les renseignements les plus déplorables.

Au contraire de Dreyfus, Esterhazy menait une vie de désordre et de jeu qui l’acculait sans cesse à d’extrêmes besoins d’argent et le tenait dans une violente agitation d’esprit. Vivant d’opérations de Bourses et d’expédients douteux, il était sans cesse à la veille d’une catastrophe.

Sa violence haineuse, effrénée et sans scrupule, éclate dans toutes ses lettres. Contre la France surtout, il