Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aveugle, affolés d’ambition et de peur, se prêtent contre l’officier, coupable d’avoir vu la vérité et de l’avoir dite, aux plus répugnantes besognes.

Il n’a pas suffi de lui arracher son grade. Le voilà maintenant jeté en prison, en attendant sans doute qu’on le livre au huis clos des Conseils de guerre, pour avoir dit à M. Cavaignac qu’il se trompait sur la valeur d’un document.

Parce que tout le système d’orgueil, d’arbitraire et de mensonge de la haute armée s’est heurté à la conscience de cet homme, il est maudit et livré aux bêtes : tous les jours il est accusé de trahison parce qu’il a trouvé le véritable traître.

Et pourtant, si l’on insinue qu’il a fabriqué la carte-lettre, on n’ose pas l’affirmer. On n’ose pas le poursuivre pour cela[1]. On sait que cette accusation serait si monstrueuse et si ridicule qu’on hésite, et c’est la meilleure preuve de l’authenticité de la carte-télégramme qui a jeté une première lueur sur les relations suspectes d’Esterhazy avec M. de Schwarzkoppen.


VI

Cette carte-lettre subsiste donc, avec toute sa gravité, et ce n’est pas le piètre argument d’Esterhazy qui la détruira. Il a dit à son procès devant le Conseil de guerre : « Il n’est pas admissible que si j’avais des relations louches avec la personne visée par M. Picquart, elle soit assez bête pour m’écrire à moi qui serais un espion, d’une telle façon, en mettant mon nom, mon grade, mon adresse, sur une carte ainsi jetée à la poste, une carte qu’on laisse traîner, qui peut être ouverte par mes

  1. On vient de s’y décider, au moment même où je relis ces épreuves. Mais la date tardive de cette décision montre bien qu’il n’y a là qu’une manœuvre désespérée de l’État-Major, et tout mon raisonnement subsiste.