Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Esterhazy, quand il lui transmettait son enquête sur la vie privée et les déplorables habitudes de celui-ci, quand il lui signalait l’étrange atelier où Esterhazy faisait copier des documents confidentiels, enfin et surtout quand il lui mettait sous les yeux l’écriture d’Esterhazy, ressemblant trait pour trait à l’écriture du bordereau, le général Gonse n’avait rien à répondre ; il ne s’engageait pas aussi vite et aussi à fond que le colonel Picquart, mais il acceptait la haute probabilité de son enquête, et il lui demandait seulement de la pousser encore pour en faire une certitude complète : à ses yeux le colonel Picquart, affirmant l’innocence de Dreyfus et la trahison d’Esterhazy, était sur le chemin de la certitude ; et la lumière était déjà assez éclatante pour que nul ne put songer à l’éteindre. C’est là ce que prouve bien, en second lieu, la lettre du général Gonse.


VIII

Mais elle prouve aussi qu’il commençait à avoir peur. Sous ces recommandations de prudence, on devine déjà les hésitations, les terreurs naissantes. Au point où en étaient les choses, l’enquête officieuse avait donné tout ce qu’elle pouvait donner.

Il n’y avait qu’un moyen d’aboutir à la certitude absolue réclamée par le général Gonse, c’était d’ouvrir contre Esterhazy, dès ce moment, une information judiciaire.

Certes, on n’avait pas attendu, pour informer contre Dreyfus, des éléments de preuve aussi concluants ; et quand on songe qu’un an plus tard, quand Esterhazy fut publiquement dénoncé, il fallut l’intervention frauduleuse et criminelle de l’État-Major pour le sauver de lui-même et l’empêcher d’avouer, il est infiniment probable qu’en septembre 1896 l’information judiciaire aurait rapidement abouti.