De plus, les mots essentiels par leur sens sont calligraphiés. L’écriture est inégale, incertaine. Aucune des lettres du commandant mises sous nos yeux n’a ce caractère, mais cette différence n’est sensible que pour nous qui avons vu les originaux. Avec des clichés habilement faits, on a pu espérer tromper le public et on y a réussi.
Nous discuterons cela tout à l’heure, mais pour qu’on ne dise pas que ce n’est là qu’une interview, qui d’ailleurs n’a pas été démentie, rappelons que M. Belhomme a daigné, devant la cour d’assises, laisser tomber une phrase qui se rapporte à son interview : « Le bordereau est en grande partie à main courante et en partie calqué. »
Voilà donc qui est acquis. D’après M. Belhomme et, puisque les trois experts ont déclaré être d’accord, d’après MM. Belhomme, Varinard et Couard, l’écriture d’Esterhazy se retrouve au moins en partie dans le bordereau, mais elle a été décalquée.
Qu’on veuille bien le retenir : c’est dans une enquête destinée à innocenter Esterhazy, dans un procès où Esterhazy avait avec lui les accusateurs que les experts officiels sont conduits, malgré tout, par la force de la vérité, à proclamer officiellement que l’écriture d’Esterhazy se retrouve dans le bordereau.
Oui, quoi qu’on fasse, « la vérité est en marche ». Quel que soit l’expédient imaginé ensuite par les experts pour sauver Esterhazy, client et protégé de l’État-Major, cette constatation officielle subsiste : Ce n’est plus Esterhazy tout seul qui reconnaît sa propre écriture dans le bordereau, ce sont les experts commis au procès.
Et après cette constatation officielle, légale, que reste-t-il des expertises par lesquelles a été condamné Dreyfus ?