Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/190

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fus aucun soupçon, aucune enquête, aucune surveillance.

Le bordereau n’est pas seulement la base de l’accusation : il en est le point de départ. Si le bordereau n’avait pas été trouvé, ou si on n’avait pas cru y reconnaître l’écriture de Dreyfus, celui-ci serait tranquillement à son bureau de l’État-Major ; non seulement il n’aurait pas été condamné, mais il n’aurait pas été inquiété ni poursuivi.

Et ce bordereau, qui a joué un rôle si décisif ; ce bordereau, qui a été toute la base légale du procès, maintenant qu’on sait qu’il n’est pas Dreyfus, mais d’Esterhazy, on le déclare sans importance ! Il paraît que le bordereau ne compte plus !

On condamne un homme sur une pièce qui n’est pas de lui ! Plus tard, deux ans après, quand on reconnaît que cette pièce n’est pas de lui, qu’elle est d’un autre, au lieu de courir vers l’innocent condamné pour lui demander pardon, on dit : « Bagatelle ! C’est une erreur de détail qui ne touche pas au fond du procès ! » Je ne sais si l’histoire contient beaucoup d’exemples d’un pareil cynisme.


IV

Mais quand il serait vrai qu’il y a d’autres pièces graves contre Dreyfus, il y a deux faits qui dominent tout. Le premier, c’est que le bordereau seul a été soumis à Dreyfus ; le bordereau seul a été discuté par lui. Si d’autres pièces ont été produites aux juges sans l’être à l’accusé, ce sont elles qui ne comptent pas : elles n’ont pas de valeur légale. Elles ne prendront une valeur que quand l’accusé pourra les connaître et les discuter.

Il n’y a eu qu’un procès légal : celui qui portait sur le bordereau, base unique. Cette base ruinée, tout le procès légal, c’est-à-dire tout le procès, est ruiné aussi.

Si, en dehors du bordereau qui ne peut plus être attribué à Dreyfus, il y a d’autres pièces qui le condamnent,