Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/206

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pu diriger contre Dreyfus les pièces secrètes : et c’est parce que le bordereau n’a plus de valeur qu’on fait aujourd’hui de ces pièces, des pièces décisives.

Il y a là, si je puis dire, une mauvaise foi fondamentale. Mais où M. Cavaignac a commis, non pas seulement une erreur de méthode, mais une faute grave contre la conscience, c’est lorsque, étudiant le dossier secret, il n’a même pas appelé le lieutenant-colonel Picquart. Celui-ci avait été diffamé par l’État-Major, c’est vrai ; il avait été frappé d’une mesure disciplinaire, c’est vrai. Mais il avait été chef du bureau des renseignements. Longtemps ses chefs avaient rendu hommage à sa valeur intellectuelle et morale.

Or, le lieutenant-colonel Picquart a affirmé solennellement devant la cour d’assises qu’il n’y avait aucune pièce du dossier secret qui s’appliquât à Dreyfus. Il a affirmé qu’une de ces pièces, au contraire, s’appliquait exactement à Esterhazy. Il a affirmé particulièrement que les deux pièces à l’initiale D… ne peuvent pas concerner Dreyfus.

Il s’offre à le prouver où l’on voudra. Il s’offre à le prouver publiquement, si on veut bien le relever en ce point du secret professionnel. Il s’offre à le prouver aux ministres s’ils veulent bien lui accorder une audience.

Et M. Cavaignac, prenant sur lui de juger tout seul de la valeur du dossier, et de se prononcer à la tribune sur la culpabilité ou l’innocence d’un homme, ne daigne même pas entendre le colonel Picquart ! Il n’écoute que ceux qui, autour de lui, dans l’État-Major, sont acharnés à la perte de Dreyfus ; et il repousse l’homme qui offre la preuve de leur erreur ! C’est d’une témérité prodigieuse ; et quand on tient dans ses mains ou mieux encore quand on prend dans ses mains l’honneur et la liberté d’un homme, c’est d’un parti pris coupable et d’une criminelle légèreté.

Jusqu’au bout il est donc entendu que les pièces secrètes, sur lesquelles on accable Dreyfus, seront sous