Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/49

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Sous l’outrage, l’abject personnage se redresse ; il nous jette un coup d’œil de haine féroce.

― Vous n’avez pas le droit de m’insulter.

Une voix nette sort du groupe de la presse, contestant :

― Vous savez bien que vous n’êtes pas innocent.

― Vive la France ! sale juif ! lui crie-t-on encore, et Dreyfus continue son chemin.

Ses vêtements ont un aspect pitoyable. À la place des galons pendent de longs bouts de fil, et le képi n’a plus de forme.

Dreyfus se redresse encore, mais il n’a parcouru que la moitié du front des troupes, et l’on s’aperçoit que les cris continus de la foule et les divers incidents de cette parade commencent à avoir raison de lui.

Si la tête du misérable est insolemment tournée du côté des troupes qu’elle semble défier, ses jambes commencent à fléchir, Sa démarche paraît plus lourde.

Le groupe n’avance que lentement.

Il passe maintenant devant « les bleus ». Le tour du carré s’achève. Dreyfus est remis entre les mains des deux gendarmes qui sont venus ramasser ses galons et les débris de son sabre, ils le font aussitôt monter dans la voiture cellulaire.

Le cocher fouette ses chevaux et la voiture s’ébranle, entourée d’un détachement de gardes républicains, que précèdent deux d’entre eux, le revolver au poing.

La parade a duré juste dix minutes. Ensuite Dreyfus, restant toujours dans un complet mutisme, a été réintégré au Dépôt.

Mais là, il a de nouveau protesté de son innocence.


II

J’ai entendu à l’audience de la cour d’assises, la lecture de ce récit. Pour moi, convaincu dès lors par les révélations du procès Zola que Dreyfus était en effet innocent, j’ai à peine besoin, de dire combien cette lecture était poignante. Mais laissons cela tant que la démonstration n’est pas faite. Sur tous les auditeurs, et sur les ennemis mêmes de Dreyfus cette lecture produisait