Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/50

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visiblement une impression profonde, ce cri d’innocence, si troublant, ébranlait un moment les consciences et sur cette assemblée, où bouillonnait jusque là le désordre grossier des haines, un souffle de tragique mystère était passé.


III

Ce n’est pas seulement au peuple, ce n’est pas seulement à l’armée et à la France même que Dreyfus jetait sa protestation d’innocence. Après s’être tenu debout contre le vent de mépris et de haine qui soufflait sur lui, il exhalait encore dans la solitude de sa cellule, le cri de l’innocent supplicié.

Il faut que je cite encore, car aux mensonges d’une presse ignominieuse, qui se joue en Ce moment de l’ignorance du peuple, je veux opposer des faits, des documents, des raisons.

Il est temps, pour l’honneur du prolétariat, qu’il ne soit plus le jouet des misérables qui le trompent pour faire de lui le complice d’un crime. Voici donc ce qu’après le supplice de honte et de désespoir, Dreyfus écrit, de la prison de la Santé, le soir même de la dégradation.

À son avocat d’abord :


Prison de la Santé, samedi.

Cher Maître,

J’ai tenu la promesse que je vous avais faite. Innocent, j’ai affronté le martyre le plus épouvantable que l’on puisse infliger à un soldat ; j’ai senti autour de moi le mépris de la foule ; j’ai souffert la torture la plus terrible qu’on puisse imaginer. Et que j’eusse été plus heureux dans la tombe ! Tout serait fini, je n’entendrais plus parler de rien, ce serait le calme, l’oubli de toutes mes souffrances !

Mais, hélas ! le devoir ne me le permet pas, comme vous me l’avez si bien montré.

Je suis obligé de vivre, je suis obligé de me laisser encore