Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/63

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Bien mieux, comment expliquer, si l’on croit que Dreyfus a avoué en effet des opérations d’amorçage, qu’on ne lui ait pas demandé : « Avez-vous reçu, en retour de vos communications imprudentes, des pièces de l’étranger ? »

On n’y songe même pas, tant on accorde peu d’importance à la conversation rapportée par le capitaine Lebrun-Renaud.

Ainsi, aux protestations d’innocence, authentiques, répétées, éclatantes que multiplie Dreyfus, M. Cavaignac ne peut opposer qu’une phrase d’une conversation entendue et rapportée par un seul témoin.

Car il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque. Pour faire illusion, M. Cavaignac parle de « deux officiers ». Mais il ressort du récit même du capitaine Lebrun-Renaud que c’est à lui et à lui seul que Dreyfus aurait tenu ce propos.

La preuve, c’est que c’est lui, lui tout seul qu’on appelle au ministère de la guerre ! C’est à lui, à lui tout seul qu’on demande, trois ans après, une attestation signée.

Donc, il est le seul témoin, et je suis épouvanté, je l’avoue, de l’inconscience de M. Cavaignac. Il ne tient aucun compte des documents officiels et authentiques : des procès-verbaux d’interrogatoire, des lettres au ministre où Dreyfus affirme continuellement son innocence. Il ne tient aucun compte de cette scène de la dégradation où le malheureux a jeté au pays le cri de l’innocent martyrisé.

Il réduit tout à une phrase qui aurait été entendue dans une conversation à deux, par un seul témoin, et il ne se demande pas une minute si ce témoin unique n’a pas mal entendu ou mal compris.

Il suffit, pour dénaturer tout à fait le sens d’une phrase, d’un mot mal saisi ou mal interprété ; il suffit même que la place de cette phrase dans la conversation soit modifiée. Et c’est sur une base aussi fragile, aussi incertaine, que M. Cavaignac a osé appuyer sa conviction ! Il y a là une étourderie ou un calcul d’ambition qui fait trembler.