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Page:Javal - Entre Aveugles, 1903.pdf/59

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REPAS

faire, à l’un des coins, un petit nœud qu’on fait pénétrer entre le cou et le col de la chemise : la serviette reste alors aussi sûrement en place que si elle était fixée par un bouton.

L’opération la plus difficile est celle de manger proprement le potage. On y arrive en inclinant un peu la cuiller avant de la porter à la bouche, de manière à ce qu’elle ne soit pas trop pleine.

Certains actes sont impossibles, mais ils ne sont pas indispensables : c’est ainsi que je renonce à mettre sur la viande de la moutarde en quantité convenable. À la difficulté que peut éprouver l’aveugle à tout faire sans secours, il y a cette contre-partie que son voisin de table se fait toujours un plaisir de l’aider ; j’ai appris à laisser mon voisin me rendre de petits services, même quand je n’en ai pas besoin. En enfonçant plus ou moins dans le verre l’index de la main gauche, je puis facilement me verser moi-même à boire. À quoi bon ? Et si mon voisin est heureux de couper ma viande, ou si ma voisine propose de chercher les arêtes dans ma portion de poisson, pourquoi les priverais-je de ce plaisir ?

Un de mes correspondants fait usage d’une assiette dont le fond est séparé en deux par une cloison de manière à ne pas mélanger la viande et les légumes.

Au début, je m’étais procuré une fourchette en aluminium. Plus la fourchette est légère, et plus on apprécie facilement le poids du morceau qu’on