Page:Jean Charles Houzeau - La terreur blanche au Texas et mon évasion, 1862.djvu/48

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n’eût déploré l’usage qu’ils faisaient de leurs forces et de leur supériorité? Les classes sociales cèdent, comme les individus, à l’influence d’une monomanie. Justes, éclairées, raisonnables sur tout le reste, elles se jettent dans un biais étrange dès qu’on aborde le sujet dangereux. Tous leurs principes d’équité, de religion, de morale, sont renversés en un clin d’œil. Les idées communes de droit, de vertu, de conscience, ne s’appliquent plus à l’objet de cette hallucination singulière. Et, phénomène plus inexplicable encore! ceux-là mêmes qui se laissent aller à cette monomanie morale, ont l’esprit si juste en toute autre chose, le jugement si sain et si sûr, qu’ils ne manquent jamais de saisir, dans autrui, les traces les plus légères de quelque autre faiblesse mentale.

Les cavaliers, sans s’arrêter plus longtemps qu’il n’était nécessaire, prirent la route que leur indiqua le settler. L’un d’eux, marchant en tête, suivait attentivement, sur le sol et dans l’herbe foulée, les traces du passage des déserteurs. Bien que ma direction fût différente, je pus apercevoir pendant longtemps ces rangers, cheminant à la suite de leur guide expert. Par intervalles, ils s’arrêtaient, faisaient quelques détours, revenaient sur leurs pas; mais je pouvais conclure de leurs mouvements et de leurs allures qu’ils finissaient chaque fois par retrouver la piste perdue. La terre, mouillée par l’orage, conservait les marques de la nuit.

A la fin, je m’engageai dans un ravin, d’où je perdis de vue les cavaliers. Je restai attentif aux moindres bruits toute la journée; plusieurs fois je m’imaginai entendre la fusillade lointaine d’un engagement. Mais