Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du pied comme l’âne, garde rancune comme le chameau, s’emplit le ventre comme l’ours, dérobe comme le loup, pince comme le scorpion, est rusé comme le renard, hennit après les femmes comme le cheval après les cavales, et il pourrait faire entendre la parole des enfants et appeler Dieu du nom de Père ! Mais comment faudrait-il l’appeler lui-même ? Bête féroce ? Mais de tous les vices que je viens d’énumérer les animaux n’en ont qu’un, et celui-ci les réunit tous et il a moins de raison que les animaux mêmes. Que dis-je, bête féroce ? Mais il est pire que les animaux. Ceux-ci, quoique féroces par nature, peuvent, par le soin de l’homme, s’apprivoiser. Mais celui qui 'est homme, et qui change la férocité naturelle des animaux en une douceur qui ne leur est pas naturelle, quelle excuse aura-t-il donc, lui qui change la douceur qui lui est naturelle en une férocité qui ne lui est pas naturelle, lui qui peut rendre doux ce qui est cruel par nature et qui se rend cruel lorsque, par nature, il est doux, lui qui apprivoise le lion et le rend docile, et qui change son propre cœur en un cœur plus cruel que celui du lion ! Il y a deux obstacles à vaincre chez le lion, puisqu’il est privé de raison et qu’il est le plus féroce des animaux ; et pourtant la sagesse que Dieu nous a donnée dompte cette nature rebelle. Et celui qui triomphe de la nature des animaux va perdre l’avantage que la nature lui a donné ! le lion, il le fait homme, et il lui est indifférent de faire de lui-même un lion ! Au lion il donne ce qui est au-dessus de sa nature, et à lui-même il refuse ce qui est de sa nature ! Comment donc pourrait-il appeler Dieu son Père ? Un homme plein de bonté et de charité pour son prochain, un homme qui, loin de se venger des injures reçues, ne rend que le bien pour le mal, celui-là seul peut sans crainte appeler Dieu son Père. Voyez maintenant et saisissez toute la force de ces paroles : elles nous font une loi de nous aimer les uns les autres, elles nous resserrent tous dans le lien d’une charité mutuelle. Le Seigneur ne nous a pas commandé de dire, mon Père qui êtes aux cieux, mais bien notre Père qui êtes aux cieux, afin que, sachant que nous avons un Père commun, nous éprouvions les uns pour les autres un amour fraternel. Ensuite pour nous apprendre à nous détacher de la terre et des choses de la terre, à ne pas nous courber sans cesse vers elle, mais à saisir les ailes de la foi, à prendre notre essor, à traverser les airs, à passer au-delà des régions éthérées, à chercher celui que nous appelons notre Père, il nous a ordonné de dire : Notre Père qui êtes aux cieux, non que Dieu ne se trouve que dans les cieux, mais pour que nous qui sommes actuellement attachés à la terre, nous levions les yeux au ciel, et qu’admirant la beauté des biens qui nous y attendent, nous aspirions vers eux de tout notre cœur.
4. Telle est la première parole ; écoutez maintenant la seconde : Que votre nom soit sanctifié. Ce serait une folie de croire qu’il demande pour Dieu un accroissement de sainteté, par ces paroles : Que votre nom soit sanctifié, car il est saint, tout à fait saint, saint par excellence. Et les séraphins, dans des chants continuels, lui adressent cet hymne  : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées ; le ciel et la terre sont remplis de sa gloire. Comme ceux qui, acclamant les monarques, les appellent rois et empereurs, n’ajoutent rien à leurs prérogatives, mais ne font que proclamer celles qu’ils possèdent ; de même nous ne donnons pas à Dieu une sainteté qu’il n’aurait pas, lorsque nous lui disons : Que votre nom soit sanctifié; nous proclamons seulement celle qu’il a : car, l’expression qu’il soit sanctifié, se dit au lieu de : qu’il soit glorifié. Cette parole nous apprend à diriger notre vie dans le chemin de la vertu, afin qu’en nous voyant, les hommes glorifient notre Père céleste, selon ce qui est dit en un autre endroit de l’Évangile : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres e¢ qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Mt. 5,16) Puis Jésus-Christ nous enseigne à dire : que votre règne arrive. Tyrannisés par les concupiscences charnelles, assaillis de mille tentations, nous avons besoin du règne de Dieu, de peur que le péché ne règne dans ce corps mortel et ne le rende esclave des passions, de peur encore que nos membres ne deviennent des instruments d’iniquité pour le péché, mais afin qu’ils soient des instruments de justice aux mains de Dieu et que nous nous rangions dans l’armée du Roi des siècles. Cette parole nous apprend encore à ne pas trop nous attacher à cette vie mortelle, mais à fouler aux pieds les choses présentes, à désirer les choses futures comme étant seules stables, à rechercher le royaume du ciel et de l’éternité, à ne pas mettre notre bonheur dans les choses qui peuvent nous plaire ici-bas, ni dans la beauté des corps, ni dans l’abondance des richesses, ni dans les grandes possessions, ni dans le luxe des pierreries, ni dans la magnificence des maisons, ni dans les dignités et les honneurs, ni dans la pourpre et le diadème, ni dans les festins, dans les mets exquis, dans les plaisirs quels qu’ils soient, mais à répudier avec mépris ces faux biens, pour tendre de tous nos efforts vers le seul règne de Dieu. Après nous avoir enseigné le détachement du monde, le Seigneur ajoute : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; il nous a inspiré l’amour des biens à venir, il nous les a fait désirer avec ardeur, et quand il a jeté cette flamme dans notre cœur, il dit : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, comme s’il disait : O vous, notre R. accordez-nous de vivre comme ceux qui sont au ciel, afin que ce que vous voulez nous le voulions aussi. Secourez notre volonté qui faiblit, qui voudrait accomplir vos préceptes, mais qui en est empêchée par la fragilité du corps. Tendez-nous une main secourable, à nous qui voudrions courir et qui ne pouvons que nous traîner. Notre âme a des ailes, mais alourdies par la chair ; elle s’élance vers le ciel, mais la chair la fait retomber lourdement sur la terre ; avec votre secours tout lui deviendra possible, même ce qui est impossible. Que votre volonté donc soit faite sur la terre comme au ciel.
5. Comme il vient de nommer la terre, et qu’à des créatures, sorties de la terre, vivant sur la terre, portant un corps formé de la terre, il faut un aliment conforme à leur nature, Jésus-Christ devait nécessairement ajouter : Donnez-nous aujourd’hui le pain nécessaire à notre subsistance. Il veut que nous demandions le pain nécessaire à notre subsistance, non le superflu, mais le nécessaire, ce qui suffit à réparer les pertes que le corps subit sans cesse et à l’empêcher de mourir de faim, non des tables voluptueuses, non des mets variés, non des festins préparés avec une savante industrie, non des pâtisseries délicates, non des vins aux parfums de fleurs, et tous ces autres raffinements qui flattent le palais, mais qui accablent l’estomac, qui appesantissent l’esprit, qui font que le corps se révolte contre l’esprit, semblable à un cheval rebelle au frein comme à la voix de son cavalier. Ce n’est pas là ce que la parole de Dieu nous enseigne à demander, mais le