Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/585

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vue de Dieu. Le motif du sacrifice étant donc le même, il est clair que la couronne est la même pareillement. Mais il en a voulu à tes jours, il a essayé de te faire mourir ? Eh bien ! ton action te sera comptée pour un martyre, si tu mets au rang de tes bienfaiteurs cet assassin, cet ennemi mortel, et si tu ne cesses de prier pour lui, d’appeler sur sa tête la faveur divine.
4. Ne considérons donc pas que Dieu empêcha le meurtre de David : songez seulement que David ceignit une triple et quadruple couronne de martyre, grâce aux homicides projets de Saül. En effet, celui qui, en vue de Dieu, sauve son ennemi, un ennemi qui, une fois, deux fois et plus, a dirigé la lance contre sa tête, celui qui ensuite, maître de le tuer, lui a fait grâce, et cela, sachant bien que cet acte de clémence serait le signal de nouvelles tentatives, il est clair que cet homme s’est fait égorger mille fois, autant qu’il était en lui : or, égorgé mille fois à cause de Dieu, il a droit, à bien des couronnes de martyre et, selon ces paroles de Paul : Chaque jour je meurs en vue de Dieu. (Rom. 8,26), il subit, lui aussi, en vue de Dieu, le même sort. Il pouvait faire mourir son assassin : mais, à cause de Dieu, il ne le voulut pas : il aima mieux être chaque jour en danger, que d’échapper à tant de morts en commettant un meurtre permis. Mais s’il ne faut pas se venger de celui qui s’en prend même à notre vie, s’il ne faut pas le haïr, à bien plus forte raison en est-il ainsi quand notre grief est différent et moindre.
Il semble à beaucoup de personnes que les injures d’un ennemi, que le tort qu’il fait à notre réputation sont choses plus intolérables que mille morts. Voyons donc encore à examiner ce point. On a dit du mal de toi, on t’a nommé adultère, débauché ? si c’est la vérité, corrige-toi ; si ce sont des calomnies, il faut t’en moquer ; si tu te reconnais à ces paroles, deviens sage : si tu ne te reconnais pas, réponds par le mépris : ou plutôt ne te borne pas à te moquer, à mépriser, il faut te réjouir, et tressaillir de joie, selon la parole et le précepte du Seigneur : Lorsque les hommes, dit-il, vous injurient, et disent faussement toute sorte de mal de vous, réjouissez-vous et soyez heureux, parce que votre récompense est grande dans les cieux (Mt. 5,11-12) ; et encore. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, lorsque les hommes rejetteront à tort votre nom compte mauvais. (Lc. 6,22-23). Si au contraire il dit la vérité, et que tu supportes avec douceur ses paroles, et qu’au lieu de lui rendre injure pour injure, outrage pour outrage, tu gémisses amèrement, que tu condamnes tes fautes, la récompense que tu recueilleras ne sera pas moindre que la précédente : c’est ce que j’essayerai de vous montrer par le moyen des Écritures, afin de vous faire comprendre qu’autant sont inutiles les amis flatteurs et complaisants, autant sont utiles les ennemis qui font des reproches, ces reproches fussent-ils fondés, pourvu que nous voulions user à propos de leurs accusations. En effet, il arrive souvent que les amis nous flattent pour nous être agréables ; nos ennemis au contraire exposent nos péchés au grand jour. Tandis que l’amour-propre nous empêche de voir nos fautes, la haine de nos ennemis leur donne souvent la clairvoyance qui nous manque : souvent par leurs reproches ils nous mettent dans la nécessité de nous corriger, et ainsi leur inimitié devient pour nous un grand principe d’utilité, non seulement parce que leurs avertissements nous font souvenir de nos péchés, mais encore parce qu’ils nous en déchargent. En effet, si ton ennemi te reproche un péché dont ta conscience te reconnaisse coupable, et qu’entendant cela, au lieu de l’injurier, tu gémisses amèrement et invoques le Seigneur, du même coup, te voilà déchargé complètement de ta faute. – Quoi de plus heureux ! Quel moyen plus facile de se laver de ses péchés ? Et pour que vous ne nous soupçonniez point de vous faire illusion par des paroles hasardées, j’invoquerai sur ce sujet le témoignage des divines Écritures, qui ne vous laissera plus aucun doute. Il y avait un pharisien et un publicain, l’un plongé dans tous les vices, l’autre pratiquant une rigoureuse équité : car il avait fait l’abandon de ses biens, il ne cessait de jeûner, et il était pur de cupidité ; l’autre avait passé toute sa pie dans les rapines et les violences. Tous deux montèrent pour prier dans le temple. Puis le pharisien debout, se mit à dire : Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes qui sont voleurs, injustes, ni comme ce publicain. (Lc. 18,11) Mais le publicain qui se tenait plus loin ne releva pas cette injure, ne rendit pas outrage pour outrage, ne dit pas comme font tant d’autres : C’est toi qui oses parler de ma vie, reprendre mes actions ? Est-ce que je ne vaux pas mieux que toi ?