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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/100

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dessaleront mieux et plustost qu’ils ne feront en l’eau douce.

Or pour reprendre mon propos, le comble de nostre affliction sous ceste Zone bruslante fut tel, qu’à cause des grandes et continuelles pluyes, qui avoyent penetré jusques dans la Soute, nostre biscuit estant gasté et moisi, outre que chacun n’en avoit que bien peu de tel, encor nous le falloit-il non seulement ainsi manger pourri, mais aussi sur peine de mourir de faim, et sans en rien jetter, nous avallions autant de vers (dont il estoit à demi) que nous faisions de miettes. Outreplus nos eaux douces estoyent si corrompues, et semblablement si pleines de vers, que seulement en les tirans des vaisseaux où on les tient sur mer, il n’y avoit si bon coeur qui n’en crachast : mais, qui estoit bien encor le pis, quand on en beuvoit, il falloit tenir la tasse d’une main, et à cause de la puanteur, boucher le nez de l’autre.

Que dites-vous la dessus, messieurs les delicats, qui estans un peu pressez de chaut, après avoir changé de chemise, et vous estre bien faits testonner, aimez tant non seulement d’estre à requoy en la belle salle fraische, assis dans une chaire, ou sur un lict verd : mais aussi ne sauriez prendre vos repas, sinon que la vaissaille soit bien luisante, le verre bien fringué, les serviettes blanches comme neige, le pain bien chapplé, la viande quelque delicate qu’elle soit bien proprement apprestée et servie, et le vin ou autre bruvage clair comme Emeraude ? Voulez-vous vous aller embarquer pour vivre de telle façon ? Comme je ne le vous conseille pas, et qu’il vous en prendra encores moins d’envie quand vous aurez entendu ce qui nous advint à nostre retour : aussi vous voudrois-je bien prier, que quand on parle de la mer, et sur tout de tels voyages, vous n’en sachans autre chose