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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/152

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et espouvantables baleines, lesquelles les nous monstrans journellement leurs grandes nageoires hors de l’eau, en s’esgayans dans ceste large et profonde riviere s’approchoyent souvent si pres de nostre isle, qu’à coups d’arquebuses nous les pouvions tirer et attaindre. Toutesfois parce qu’elles ont la peau assez dure, et mesme le lard tant espais, que je ne croy pas que la balle peust penetrer si avant qu’elles en fussent gueres offensées, elles ne laissoyent pas de passer outre, moins mouroyent elles pour cela. Pendant que nous estions par-dela, il y en eut une, laquelle à dix ou douze lieues de nostre fort, tirant au Cap de Frie, s’estant approchée trop pres du bord, et n’ayant pas assez d’eau pour retourner en pleine mer, demeura eschoüée et à sec sur le rivage. Mais neantmoins nul n’en osant approcher, avant qu’elle fust morte d’elle mesme : non seulement en se debattant elle faisoit trembler la terre bien loin autour d’elle, mais aussi on oyoit le bruit et estonnement le long du rivage de plus de deux lieues. Davantage combien que plusieurs tant des sauvages, que de ceux des nostres qui y voulurent aller, en rapportassent autant qu’il leur pleust, si est-ce qu’il en demeura plus des deux tiers qui fut perdue et empuantie sur le lieu. Mesmes la chair fresche n’en estant pas fort bonne, et nous n’en mangeans que bien peu de celle qui fut apportée en nostre Isle (horsmis quelques pieces du gras, que nous faisions fondre, pour nous servir et esclairer la nuict de l’huile qui en sortoit) la laissant dehors par monceaux à la pluye et au vent, nous n’en tenions non plus de conte que de fumiers. Toutesfois la langue, qui estoit le meilleur, fut sallée dans des barils, et envoyée en France à monsieur l’Admiral.

Finalement (comme j’ay jà touché) la terre ferme