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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/180

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Europe, dequoy nos sauvages se nourrissent, il faut que je dise quel est leur bruvage, et la façon comme il se fait.

Sur quoy faut aussi noter en premier lieu, que comme vous avez entendu ci-dessus, que les hommes d’entre eux ne se meslent nullement de faire la farine, ains en laissent toute la charge à leurs femmes, qu’aussi font-ils le semblable, voire sont encor beaucoup plus scrupuleux, pour ne s’entremettre de faire leur bruvage. Partant outre que ces racines d’Aypi et de Maniot, accommodées de la façon que j’ay tantost dit, leur servent de principale nourriture : Voici encor comme elles en usent pour faire leur bruvage ordinaire.

Apres donc qu’elles les ont decoupées aussi menues qu’on fait par-deça les raves à mettre au pot, les faisans ainsi bouillir par morceaux, avec de l’eau dans de grands vaisseaux de terre, quand elles les voyent tendres et amollies, les ostans de dessus le feu, elles les laissent un peu refroidir. Cela fait, plusieurs d’entre elles estans accroupies à l’entour de ces grands vaisseaux, prenans dans iceux ces rouelles de racines ainsi mollifiées, apres que sans les avaller elles les auront bien machées et tortillées parmi leurs bouches : reprenans chacun morceau l’un apres l’autre, avec la main, elles les remettent dans d’autres vaisseaux de terre qui sont tous prests sur le feu, esquels elles les font bouillir derechef. Ainsi remuant tousjours ce tripotage avec un baston jusques à ce qu’elles cognoissent qu’il soit assez cuict, l’ostans pour la seconde fois de dessus le feu, sans le couler ni passer, ains le tout ensemble le versant dans d’autres plus grandes cannes de terre, contenantes chacune environ une fueillette de vin de Bourgongne : apres qu’il a un