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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/194

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laissions pas d’en manger : et de fait la chair en est tendre et bonne.

Quant au Tatou de ceste terre du Bresil, cest animal (comme les herissons par deçà) sans pouvoir courir si viste que plusieurs autres, se traisne ordinairement par les buissons : mais en recompense il est tellement armé, et tout couvert d’escailles si fortes et si dures, que je ne croy pas qu’un coup d’espée luy fist rien : et mesmes quand il est escorché, les escailles jouans et se manians avec la peau (de laquelle les sauvages font de petits cofins qu’ils appellent Caramemo), vous diriez, la voyant pliée, que c’est un gantelet d’armes : la chair en est blanche et d’assez bonne saveur. Mais quant à sa forme, qu’il soit si haut monté sur ses quatre jambes que celuy que Belon a representé par portrait à la fin du troisiesme livre de ses observations (lequel toutesfois il nomme Tatou du Bresil), je n’en ay point veu de semblable en ce pays-là.

Or outre tous les susdits animaux qui sont les plus communs pour le vivre de nos Ameriquains : encores mangent-ils des Crocodiles, qu’ils nomment Jacaré, gros comme la cuisse de l’homme, et longs à l’avenant : mais tant s’en faut qu’ils soyent dangereux, qu’au contraire j’ay veu plusieurs fois les sauvages en rapporter tous en vie en leurs maisons, à l’entour desquels leurs petits enfans se jouoyent sans qu’ils leur fissent nul mal. Neantmoins j’ay ouy dire aux vieillards, qu’allans par pays ils sont quelquefois assaillis, et ont fort affaire de se deffendre à grans coups de flesches contre une sorte de Jacaré, grans et monstrueux : lesquels les appercevans, et sentans venir de loin, sortent d’entre les roseaux des lieux aquatiques où ils font leurs repaires.