Aller au contenu

Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup plus gros que le corps d’un homme, et long de six à sept pieds, lequel paroissant couvert d’escailles blanchastres, aspres et raboteuses comme coquilles d’huitres, l’un des pieds devant levé, la teste haussée et les yeux estincelans, s’arresta tout court pour nous regarder. Quoy voyans et n’ayant lors pas un seul de nous harquebuzes ni pistoles, ains seulement nos espées, et à la maniere des sauvages chacun l’arc et les flesches en la main (armes qui ne nous pouvoyent pas beaucoup servir contre ce furieux animal si bien armé), craignans neantmoins si nous nous enfuiyons qu’il ne courust plus fort que nous, et que nous ayant attrappez il ne nous engloutist et devorast : fort estonnez que nous fusmes en nous regardans l’un l’autre, nous demeurasmes ainsi tous cois en une place. Ainsi apres que ce monstrueux et espouvantable lezard en ouvrant la gueule, et à cause de la grande chaleur qu’il faisoit (car le soleil luisoit et estoit lors environ midi), soufflant si fort que nous l’entendions bien aisément, nous eut contemplé pres d’un quart d’heure, se retournant tout à coup, et faisant plus grand bruit et fracassement de fueilles et de branches par où il passoit, que ne feroit un cerf courant dans une forest, il s’enfuit contre mont. Partant nous, qui ayans eu l’une de nos peurs, n’avions garde de courir apres, en louant Dieu qui nous avoit delivrez de ce danger, nous passasmes outre. J’ay pensé depuis, suyvant l’opinion de ceux qui disent que le lezard se delecte à la face de l’homme, que cestuylà avoit prins aussi grand plaisir de nous regarder que nous avions eu peur à le contempler.

Outre plus, il y a en ce pays-là une beste ravissante que les sauvages appellent Jan-ou-are, laquelle est presque aussi haute enjambée et legere à courir qu’un