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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/214

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petitesse : lesquelles en engendrent d’autres, et si on les y laisse sans y mettre ordre, elles multiplient tant qu’on ne les peut chasser, ny remedier qu’avec le feu ou le fer : mais si on les oste de bonne heure, elles font peu de mal. Aucuns Espagnols (adjouste-il) en ont perdu les doigts des pieds, autres les pieds entiers.

Or pour y remedier, nos Ameriquains se frottent tant les bouts des orteils qu’autres parties où elles se veulent nicher, d’une huile rougeastre et espesse, faite d’un fruict qu’ils nomment Couroq, lequel est presque comme une chastaigne en l’escorce : ce qu’aussi nous faisions estans par delà. Et diray plus, que cest unguent est si souverain pour guerir les playes, cassures et autres douleurs qui surviennent au corps humain, que nos sauvages cognoissans sa vertu, le tiennent aussi precieux que font aucuns par deçà, ce qu’ils appellent la saincte huile. Aussi le barbier du navire, où nous repassasmes en France, l’ayant experimentée en plusieurs sortes en apporta 10. ou 12. grans pots pleins : et autant de graisse humaine qu’il avoit recueillie quand les sauvages cuisoyent et rostissoyent leurs prisonniers de guerre, à la façon que je diray en son lieu.

Davantage l’air de ceste terre du Bresil produit encores une sorte de petits mouchillons, que les habitans d’icelle nomment Yetin, lesquels piquent si vivement, voire à travers de legers habillemens, qu’on diroit que ce sont pointes d’esguilles. Partant vous pouvez penser quel passetemps c’est de voir nos sauvages tous nuds en estre poursuivis : car claquans des mains sur leurs fesses, cuisses, espaules, bras, et sur tout leur corps, vous diriez lors que ce sont chartiers singlans les chevaux avec leurs fouets.