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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/93

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mesme la nuict, qu’au milieu des ondes et des vagues qui les agitent, ils rendent la mer comme verte, et semblent eux-mesmes estre tous verts. C’est un plaisir de les ouyr souffler et ronfler, de telle façon que vous diriez proprement que ce sont porcs terrestres. Aussi les mariniers, les voyans en ceste sorte nager et se tourmenter, presagent et s’asseurent de la tempeste prochaine : ce que j’ay veu souvent advenir. Et combien qu’en temps moderé, c’est à dire la mer estant seulement florissante, nous en vissions quelquesfois en si grande abondance que tout à l’entour de nous, tant que la veue se pouvoit estendre, il sembloit que la mer fust toute de marsouins : si est-ce toutesfois que ne se laissans pas si aisément prendre que beaucoup d’autres sortes de poissons, nous n’en avions pas pour cela toutes les fois que nous eussions bien voulu. Sur lequel propos, à fin de tant mieux contenter le lecteur, je veux bien encore declarer le moyen duquel j’ay veu user aux matelots pour les avoir. L’un d’entre eux, des plus stylez et façonnez à telle pesche, se tenant au guet auprès du mats du beaupré, et sur le devant du navire, ayant en la main un arpon de fer, emmanché en une perche, de la grosseur et longueur d’une demie pique, et lié à quatre ou cinq brasses de cordeaux, quand il en void approcher quelques troupes, choisissant entre iceux celuy qu’il peut, il luy jette et darde cest engin de telle roideur, que s’il l’attaint à propos, il ne faut point de l’enferrer. L’ayant ainsi frappé, il file et lasche la corde, de laquelle cependant retenant le bout ferme, après que le marsouin, qui en se debattant et s’enferrant de plus en plus perd son sang dans l’eau, s’est un peu affoibli, les autres mariniers pour aider à leur compagnon viennent avec un crochet de fer qu’ils appellent gaffe (aussi emmanché