Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/117

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quelque ouverture pour pouvoir sortir et m’enfuir de là, je ne m’y fusse pas feint. Mais me voyant de toutes parts environné de ceux desquels ignorant l’intention (car comme vous orrez ils ne pensoyent rien moins qu’à me mal faire) je croyois fermement et m’attendois devoir estre bien tost mangé, en invoquant Dieu en mon coeur toute ceste nuict là. Je laisse à penser à ceux qui comprendront bien ce que je di, et qui se mettront en ma place, si elle me sembla longue. Or le matin venu que mon truchement (lequel en d’autres maisons du village, avec les fripponniers de sauvages avoit riblé toute la nuict) me vint retrouver, me voyant comme il me dit, non seulement blesme et fort defait de visage, mais aussi presque en la fievre : il me demanda si je me trouvois mal, et si je n’avois pas bien reposé : à quoy encores tout esperdu que j’estois, luy ayant respondu en grande colere, qu’on m’avoit voirement bien gardé de dormir, et qu’il estoit un mauvais homme de m’avoir ainsi laissé parmi ces gens que je n’entendois point, ne me pouvant rasseurer, je le priay qu’en diligence nous nous ostissions de là. Toutesfois luy là dessus m’ayant dit que je n’eusse point de crainte, et que ce n’estoit pas à nous à qui on en vouloit : apres qu’il eut le tout recité aux sauvages, lesquels s’esjouyssans de ma venue, me pensans caresser, n’avoyent bougé d’aupres de moy toute la nuict : eux ayans dit qu’ils s’estoyent aussi aucunement apperceus que j’avois eu peur d’eux, dont ils estoyent bien marris, ma consolation fut (selon qu’ils sont grands gausseurs) une risée qu’ils firent, de ce que sans y penser, ils me l’avoyent baillée si belle. Le truchement et moy fusmes encores de là en quelques autres villages, mais me contentant d’avoir recité ce que dessus pour eschantillon de ce qui m’advint en mon premier