Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/132

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d’ouir les femmes, lesquelles braillans si fort et si haut, que vous diriez que ce sont hurlemens de chiens et de loups, font communément tels regrets et tels dialogues. Il est mort (diront les unes en trainant leurs voix) celuy qui estoit si vaillant, et qui nous a tant fait manger de prisonniers. Puis les autres en esclatant de mesme, respondront : O que c’estoit un bon chasseur et un excellent pescheur. Ha le brave assommeur de Portugais et de Margajas, desquels il nous a si bien vengez, dira quelqu’une entre les autres : tellement que parmi ces grands pleurs, s’incitans à qui fera le plus grand dueil, et comme vous voyez en la presente figure, s’embrassans les bras et les espaules l’une de l’autre, jusques à ce que le corps soit osté de devant elles, elles ne cesseront, en dechifrant et recitant par le menu tout ce qu’il aura fait et dit en sa vie, de faire de longues kirielles de ses louanges.

Bref à la maniere que les femmes de Bearn, ainsi qu’on dit, faisans de vice vertu en une partie des pleurs qu’elles font sur leurs maris decedez chantent : La mi amon, la mi amon : Cara rident, œil de splendon : Cama leugé, bel dansadou ; Lo mé balen, lo m’esburbat : matî depes : fort tard au lheit. C’est à dire : Mon amour, mon amour : visage riant, oeil de splendeur, jambe legere, beau danseur, le mien vaillant, le mien esveillé, matin debout, fort tard au lict : Voire comme aucuns disent que les femmes de Gascongne adjoustent, Yere, yere. O le bet renegadou, ô le bet jougadou qu’here : c’est à dire, Helas ! helas ! O le beau renieur, ô le beau joueur qu’il estoit : ainsi en font nos povres Ameriquaines, lesquelles au surplus, au refrein de chaque pose, adjoustans tousjours, Il est mort, il est mort, celuy duquel nous faisons maintenant le dueil : les hommes leur respondans disent, Helas il est vray,