Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/162

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pour abandonner la terre, comme il falloit, sans la costoyer, à fin d’eviter ce danger nous fusmes presques contraints de relascher. Toutesfois apres que par l’espace de sept ou huict jours nous eusmes flotté, et fusmes agitez de costé et d’autre de ce mauvais vent, qui ne nous avoit gueres avancé : advint environ minuict (inconvenient beaucoup pire que les precedens) que les matelots, selon la coustume, faisans leur quart, en tirans l’eau à la pompe y ayans demeuré si long temps, que quoy qu’ils en contassent plus de quatre mille bastonnées (ceux qui ont frequenté la mer Oceane avec les Normans entendent bien ce terme), impossible leur fut de la pouvoir franchir ni espuiser : apres qu’ils furent bien las de tirer, le contremaistre pour voir d’où cela procedoit, estant descendu par l’escoutille dans le vaisseau, non seulement le trouva entreouvert en quelques endroits, mais aussi desjà si plein d’eau (laquelle y entroit tousjours à force) que de la pesanteur, au lieu de se laisser gouverner, on le sentoit peu à peu enfoncer. De façon qu’il ne faut pas demander, quand tous furent resveillez, cognoissans le danger où nous estions, si cela engendra un merveilleux estonnement entre nous : et de vray l’apparence estoit si grande, que tout à l’instant nous deussions estre submergez, que plusieurs perdans soudain toute esperance d’en reschapper, faisoyent jà estat de la mort, et couler en fond.

Toutesfois comme Dieu voulut, quelques uns, du nombre desquels je fus, s’estant resolus de prolonger la vie autant qu’ils pourroyent, prindrent tel courage qu’avec deux pompes, ils soustindrent le navire jusques à midi : c’est à dire pres de douze heures, durant lesquelles l’eau entra en aussi grande abondance dans nostre vaisseau, que sans cesser une seule minute,