Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingt cinq matelots, et quinze que nous estions de nostre compagnie, faisant en tout nombre de quarante cinq personnes, dès le mesme jour quatriesme de janvier, ayant levé l’ancre, nous mettans en la protection de Dieu, nous nous mismes derechef à naviger sur ceste grande et impetueuse mer Oceane et du Ponent. Non pas toutesfois sans grandes craintes et apprehensions : car à cause des travaux que nous avions endurez en allant, n’eust esté le mauvais tour que nous joua Villegagnon, plusieurs d’entre nous, ayans là non seulement moyen de servir à Dieu, comme nous desirions, mais aussi gousté la bonté et fertilité du pays, n’avoyent pas deliberé de retourner en France, où les difficultez estoyent lors et sont encores à present, sans comparaison beaucoup plus grandes, tant pour le faict de la Religion que pour les choses concernantes ceste vie. Tellement que pour dire ici adieu à l’Amerique, je confesse en mon particulier, combien que j’aye tousjours aimé et aime encores ma patrie : neantmoins voyant non seulement le peu, et presques point du tout de fidelité qui y reste, mais, qui pis est, les desloyautez dont on y use les uns envers les autres, et brief que tout nostre cas estant maintenant Italianisé, ne consiste qu’en dissimulations et paroles sans effects, je regrette souvent que je ne suis parmi les sauvages, ausquels (ainsi que j’ay amplement monstré en ceste histoire) j’ay cogneu plus de rondeur qu’en plusieurs de par-deça, lesquels à leur condamnation, portent titre de Chrestiens.

Or parce que du commencement de nostre navigation, il nous falloit doubler les grandes Basses, c’est à dire une pointe de sables et de rochers entremeslez se jettans environ trente lieuës en mer, lesquels les mariniers craignent fort : ayans vent assez mal propre