Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous craignions d’estre là rencontez de quelques Pirates, non seulement nous braquasmes quatre ou cinq pieces de telle quelle artillerie de fer qui estoyent dans nostre navire : mais aussi pour nous defendre à la necessité, nous preparasmes les lances à feu et autres munitions de guerre que nous avions. Toutesfois, à cause de cela, voicy derechef un autre inconvenient qui nous advint : car comme nostre canonnier faisant seicher sa pouldre dans un pot de fer, le laissa si longtemps sur le feu qu’il rougit, la poudre s’estant emprise, la flambe donna de telle façon d’un bout en autre du vaisseau, mesme gasta quelques voiles et cordages, que peu s’en fallut, qu’à cause de la graisse et du breits dont le navire estoit frotté et goldronné, le feu ne s’y mist, en danger d’estre tous bruslez au milieu des eaux. Et de fait l’un des pages et deux autres mariniers furent tellement gastez de bruslures, que l’un en mourut quelques jours apres : comme aussi pour ma part, si soudainement je n’eusse mis mon bonnet à la matelotte devant mon visage, j’eusse eu la face gastée ou pis ; mais m’estant ainsi couvert j’en fus quitte pour avoir le bout des oreilles et les cheveux grillez : cela nous advint environ le quinziesme d’apvril. Aussi pour reprendre un peu haleine en cest endroit, nous voici jusques à present par la grace de Dieu, non seulement eschappez des naufrages et de l’eau, dont, comme vous avez entendu, nous avons plusieurs fois cuidé estre engloutis, mais aussi du feu qui n’agueres nous a pensé consumer.