Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/178

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noire et amere que suye, vous pouvez penser si c’estoit un plaisant manger. Sur cela ceux qui avoyent encores des Guenons et des Perroquets (car dès longtemps plusieurs avoyent jà mangé les leurs) pour leur apprendre un langage qu’ils ne sçavoyent pas encores, les mettans au gabinet de leur memoire les firent servir de nourriture. Brief, dès le commencement du mois de May que tous vivres ordinaires defaillirent entre nous, deux mariniers estans morts de malle rage de faim, furent à la façon de la mer jettez et ensepulturez hors le bord.

Outreplus durant ceste famine la tormente continuant jour et nuict l’espace de trois sepmaines, nous ne fusmes pas seulement, à cause de la mer merveilleusement haute et esmeuë, contrains de plier toutes voiles et lier le gouvernail : mais aussi ne pouvans plus autrement conduire le vaisseau, il le fallut laisser aller au gré des ondes et du vent : de maniere que cela empescha, qu’en tout ce temps, et à nostre grande necessité, nous ne peusmes pescher un seul poisson : somme nous voila derechef tout à coup en la famine jusques aux dents, assaillis de l’eau par dedans, et tourmentez des vagues au dehors. Parquoy, puisque ceux qui n’ont point esté sur mer, principalement en telle espreuve, n’ont veu que la moitié du monde, il faut icy repeter qu’à bon droit le Psalmiste dit des mariniers, que flottant, montant et descendant ainsi sur se tant terrible element subsistant au milieu de la mort, voyent vrayement les merveilles de l’Eternel. Cependant ne demandez pas si nos matelots papistes se voyans reduits à telle extremité, promettans, s’ils pouvoyent parvenir en terre, d’offrir à S. Nicolas une image de cire de la grosseur d’un homme, faisoyent au reste de merveilleux voeux : mais cela estoit crier