Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/179

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apres Baal, qui n’y entendoit rien. Partant nous autres nous trouvans bien mieux d’avoir recours à celuy duquel nous avions jà tant de fois experimenté l’assistance, et qui seul aussi nous soustenant extraordinairement durant la famine pouvoit commander à la mer, et appaiser l’orage, c’estoit à luy et non à autres que nous nous adressions.

Or estans jà si maigres et affoiblis, qu’à peine nous pouvions nous tenir debout pour faire les manœuvres du navire, la necessité neantmoins au milieu de ceste aspre famine suggerant à chacun de penser et repenser à bon escient de quoy il pourroit remplir son ventre : quelques-uns s’estans advisez de couper des pieces de certaines rondelles faites de la peau de l’animal nommé Tapiroussou, duquel j’ay fait mention en ceste histoire, les firent bouillir dans de l’eau pour les cuider manger de ceste façon : mais ceste recepte ne fut pas trouvée bonne. Parquoy d’autres qui de leur costé cherchoyent aussi toutes les inventions dont ils se pouvoyent adviser pour remedier à leur faim, ayans mis de ces pieces de rondelles de cuir sur les charbons, apres qu’elles furent un peu rosties, le bruslé raclé avec un cousteau, cela succeda si bien que les mangeans ainsi, il nous estoit advis que ce fussent carbonnades de coines de pourceau. Tellement que cest essay fait, ce fut à qui avoit des rondelles de les tenir si de court, que parce que elles estoyent aussi dures que cuir de boeuf sec, apres qu’avec des serpes et autres ferremens elles furent toutes decoupées : ceux qui en avoyent portans les morceaux dans leurs manches en de petits sacs de toile n’en faisoyent pas moins de conte que font par deçà, sur terre, les gros usuriers de leurs bourses pleines d’escus. Mesmes comme Josephus dit, que les assiegez dans la ville de Jerusalem se