Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/187

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pour tout certain si nous fussions encor demeuré un jour en cest estat, il avoit deliberé et resolu, non pas de jetter au sort, comme quelques uns ont fait en telle destresse, mais sans dire mot, d’en tuer un d’entre nous pour servir de nourriture aux autres : ce que j’apprehenday tant moins pour mon regard qu’encor qu’il n’y eust pas grand graisse en pas un de nous, si est-ce toutesfois, sinon qu’on eust seulement voulu manger de la peau et des os, que ce n’eust pas esté moy. Or parce que nos mariniers avoyent deliberé d’aller descharger et vendre leur bois de Bresil à la Rochelle, quand nous fusmes à deux ou trois lieuës de ceste terre de Bretagne, le maistre du navire, avec le sieur du Pont et quelques autres nous laissans à l’ancre, s’en allerent dans une barque en un lieu proche appelé Hodierne pour acheter des vivres : mais deux de nostre compagnie, ausquels particulierement je baillay argent pour m’apporter des rafraischissemens s’estans aussi mis dans ceste barque, si tost qu’ils se virent en terre, pensans que la famine fust enfermée dans le navire, quittans les coffres et hardes qu’ils y avoyent laissez, protesterent de n’y mettre jamais le pied : comme de faict, s’en estans allez de ce pas, je ne les ay point veus depuis. Outre plus, durant que nous fusmes là à l’ancre, quelques pescheurs s’estans approchez ausquels nous demandasmes des vivres, eux estimans que nous nous mocquissions, ou que sous ce pretexte nous leur voulussions faire desplaisir se voulurent soudain reculer : mais nous les tenans à bord, pressez de necessité, estans encores plus habiles qu’eux, nous jettasmes de telle impetuosité dans leur barque, qu’ils pensoyent à l’heure estre tous saccagez : toutesfois, sans leur rien prendre que de gré à gré, n’ayans trouvé, de ce que nous cherchions,