Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/188

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sinon quelques quartiers de pain noir, il y eut un vilain lequel, nonobstant la disette que nous leur fismes entendre ou nous estions, au lieu d’en avoir pitié, ne fit pas difficulté de prendre de moy deux reales pour un petit quartier qui ne valoit pas lors un liard en ce pays-là. Or nos gens estans revenus avec pain, vin, et autres viandes lesquelles, comme pouvez estimer, nous ne laissasmes pas moisir ni aigrir comme en pensant tousjours aller à la Rochelle, nous eusmes navigé deux ou trois lieuës, nous fusmes advertis par ceux d’un navire qui nous aborda, que certains pirates ravageoyent tout du long de ceste coste. Par quoy considerans là dessus qu’apres tant de grands dangers d’où Dieu nous avoit fait la grace d’eschapper, ce seroit bien le tenter, et cercher nostre malheur de nous remettre en nouveau hazard : dès le mesme jour vingtsixiesme de May, sans plus tarder de prendre terre, nous entrasmes dans le beau et spacieux havre de Blavet pays de Bretagne : auquel aussi arrivoit lors grand nombre de vaisseaux de guerre, lesquels retournans de voyager de divers pays, tirans coups d’artilleries, et faisans les bravades accoustumées en entrans dans un port de mer s’esjouissoyent de leurs victoires. Mais entre autres y en ayant un de S. Malo, duquel les mariniers peu auparavant avoyent prins et emmené un navire d’Espagnol qui revenoit du Peru, chargé de bonne marchandise, laquelle on estimoit plus de soixante mille ducats : cela estant jà divulgué par toute la France, et beaucoup de marchans Parisiens, Lyonnois et d’autres estans arrivez en ce lieu pour en acheter, il nous vint si bien à poinct, qu’aucuns d’eux se trouvans pres nostre vaisseau quand nous mettions pied en terre, non seulement (parce que nous ne nous pouvions soustenir) ils nous emmenerent par dessous les bras :