Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n'entendis jamais plus clair, ni n'eu meilleure veuë. Vray est que pour l'esgard de l'estomach, je l'ay tousjours eu depuis fort foible et debile : de façon qu'ainsi que j'ay tantost touché, la recharge que j'eu il y a environ quatre ans durant le siege et la famine de Sancerre estant intervenue, je puis dire que je m'en sentiray toute ma vie. Ainsi apres avoir un peu reprins nos forces à Nantes, auquel lieu, comme j'ay dit, nous fusmes fort bien traittez, chacun print parti et s'en alla où il voulut.

Ne reste plus pour mettre fin à la presente histoire, sinon sçavoir que devindrent les cinq de nostre compagnie : lesquels, comme il a esté dit ci-dessus, apres le premier naufrage que nous cuidasmes faire, s'en retournerent en la terre de Bresil : et voici par quel moyen il a esté sceu. Certains personnages dignes de foy que nous avions laissez en ce pays-là, d'où ils revindrent environ quatre mois apres nous, ayans rencontré le sieur du Pont à Paris, ne l'asseurerent pas seulement qu'à leur grand regret ils avoyent esté spectateurs quand Villegagnon à cause de l'Evangile en fit noyer trois au fort de Colligny : assavoir Pierre Bourdon, Jean du Bordel, et Matthieu Verneuil, mais aussi outre cela, ayans apporté par escrit tant leur confession de foy que toute la procedure que Villegagnon tint contre eux, ils la baillerent audit sieur du Pont, duquel je la recouvray aussi bien tost apres. Tellement qu'ayant veu par là, comme pendant que nous soustenions les flots et orages de la mer, ces fideles serviteurs de Jesus-Christ enduroyent les tourmens, voire la mort cruelle que Villegagnon leur fit souffrir, en me ressouvenant que moy seul de nostre compagnie (ainsi qu'il a esté veu en son lieu) estois ressorti de la barque, dans laquelle je fus tout prest de