Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/192

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Apres doncques que nous eusmes receu ce nouveau benefice de la main de celuy, lequel, ainsi que j’ay dit, tant sur mer que sur terre se monstra nostre protecteur, nos mariniers departans de ceste ville de Hanebon pour s’en aller en leur pays de Normandie, nous aussi pour nous oster d’entre ces Bretons bretonnans, le langage desquels nous entendions moins que celuy des sauvages Ameriquains d’avec lesquels nous venions, nous hastasmes de venir en la ville de Nantes, de laquelle nous n’estions qu’à trente deux lieuës. Non pas cependant que nous courussions la poste, car à cause de nostre debilité, n’ayans pas la force de conduire les chevaux dont fusmes accommodez, ni mesme d’endurer le trot, chacun pour mener le sien tout bellement par la bride, avoit un homme expres.

Davantage parce qu’à ce commencement, il nous fallut comme renouveler nos corps, nous n’estions pas seulement aussi envieux de tout ce qui nous venoit à la fantasie, qu’on dit communément que sont les femmes qui chargent d’enfant, dequoy si je ne craignois d’ennuyer les lecteurs, j’alleguerois des exemples estranges : mais aussi aucuns eurent le vin en tel desgoust, qu’ils furent plus d’un mois sans en pouvoir sentir, moins gouster. Et pour la fin de nos miseres, quand nous fusmes arrivez à Nantes, comme si tous nos sens eussent esté entierement renversez, nous fusmes environ huict jours oyans si dur, et ayans la veuë si offusquée que nous pensions devenir sourds et aveugles. Toutesfois quelques excellens docteurs medecins et autres notables personnages qui nous visitoyent souvent en nos logis, eurent tel soin de nous et nous secoururent si bien, que tant s’en faut, pour mon particulier, qu’il m’en soit demeuré quelque reste, qu’au contraire dés environ un mois apres, je