Aller au contenu

Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et caoüiner toute la matinée. Mesme celuy qui n’ignore pas que telle assemblée se faisant à son occasion, il doit estre dans peu d’heure assommé, emplumassé qu’il sera, tant s’en faut qu’il en soit contristé, qu’au contraire, sautant et buvant il sera des plus joyeux. Or cependant apres qu’avec les autres il aura ainsi riblé et chanté six ou sept heures durant : deux ou trois des plus estimez de la troupe l’empoignans, et par le milieu du corps le lians avec des cordes de cotton, ou autres faites de l’escorce d’un arbre qu’ils appellent Vuire, laquelle est semblable à celle du til de par deçà, sans qu’il face aucune resistance, combien qu’on luy laisse les deux bras à delivre, il sera ainsi quelque peu de temps pourmené en trophée parmi le village. Mais pensez-vous que encores pour cela (ainsi que feroyent les criminels pardeçà) il en baisse la teste ? rien moins : car au contraire, avec une audace et asseurance incroyable, se vantant de ses prouesses passées, il dira à ceux qui le tiennent lié : J’ay moy-mesme, vaillant que je suis, premierement ainsi lié et garrotté vos parens : puis s’exaltant tousjours de plus en plus, avec la contenance de mesme, se tournant de costé et d’autre, il dira à l’un, J’ay mangé de ton pere, à l’autre, J’ay assommé et boucané tes freres : bref, adjoustera-il, J’ay en general tant mangé d’hommes et de femmes, voire des enfans de vous autres Toüoupinambaoults, lesquels j’ay prins en guerre, que ie n’en sçaurois dire le nombre : et au reste, ne doutez pas que pour venger ma mort, les Margajas de la nation dont je suis, n’en mangent encores cy apres autant qu’ils en pourront attrapper.

Finalement apres qu’il aura ainsi esté exposé à la veuë d’un chacun, les deux sauvages qui le tiennent lié, s’esloignans de luy, l’un à dextre et l’autre à se-